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Wikipédia, Obama, les menteurs et la boule de cristal

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D’abord, les faits : Joe Wilson, représentant au Congrès des États-Unis d’Amérique a traité publiquement le président Barack Obama de « menteur » lors d’un discours de ce dernier lorsqu’il a affirmé que son plan de couverture santé ne bénéficierait pas aux immigrants illégaux. Il s’agissait là d’un grave manquement à l’étiquette parlementaire.

Cela, personne ne le conteste : l’incident a été filmé, des membres du Congrès des deux partis ont condamné le caractère insultant de ces propos, et Joe Wilson s’est excusé de son manque de civilité. La biographie de Joe Wilson sur Wikipédia se contente de rapporter ces faits.

Cependant, comme nous le rapporte un blog du New York Times, la mention de cette affaire sur Wikipédia a provoqué des débats internes à ce site :

  • Cette interjection mérite-t-elle mention ? Après tout, on ne mentionne pas toutes les bêtises que les gens racontent, quand bien même ils sont membres du Congrès des États-Unis.
  • Sur le fond de la dispute entre MM. Wilson et Obama, qui a raison ? Le plan proposé bénéficierait-il aux immigrés illégaux ?

Le point 1 a été réglé par le fait que les médias américains se sont largement fait l’écho de l’affaire, et donc que celle-ci mérite mention. Le point 2 a été plus délicat, et Wikipédia a finalement choisi de ne rien dire sur le sujet de la dispute, se contentant d’exprimer les points de vue des deux protagonistes et de noter que la section 246 de la loi exclut les immigrés illégaux de certains financements fédéraux.

Certains intervenants du blog reprochent cette pratique à Wikipédia : selon eux, Wikipédia aurait dû prendre parti et dire si oui ou non le plan de santé de M. Obama bénéficierait aux immigrants illégaux. Bien entendu, ils en concluent que « Wikipédia n’est pas fiable » ou qu’« ils ne permettraient pas à leurs étudiants de citer Wikipédia » en raison de cela.

Relevons tout d’abord le manque de cohérence logique entre cause et conséquence. Personne ne conteste que les faits donnés sur Wikipédia sont exacts ­- il ne s’agit donc pas d’un manque de fiabilité. Mais venons-en au fond : Wikipédia aurait-elle dû prendre parti ?

Il serait facile de caricaturer l’attitude de Wikipédia en « une minute pour Churchill, une minute pour Hitler ». Ce serait cependant ignorer la difficulté du sujet. Le projet de loi de réforme de l’assurance maladie aux États-Unis soutenu par Barack Obama fait, dit-on, plus de 1000 pages (je n’ai pas eu le courage de parcourir tous les fichiers et calculer la somme de leurs longueurs). Un paragraphe exclut les immigrés illégaux de certains financements fédéraux — mais sont-ce les seuls avantages que ceux-ci pourraient retirer de la loi ?

Non seulement il y a la complexité du texte, mais aussi son contexte juridique. Ce texte s’insère au milieu d’une multiplicité de lois fédérales et de lois des états fédérés, fort complexes. De plus, les États-Unis sont un pays de « common law », où les juges ont une grande latitude d’interprétation des lois et créent de nouvelles règles ; autrement dit, nous n’aurions sans doute la réponse à cette question qu’après des décisions judiciaires qui interviendraient dans plusieurs années.

Autrement dit, on exige de Wikipédia qu’elle joue le rôle d’une boule de cristal magique.

Le fait que le droit soit binaire (illégal/légal, autorisé/non autorisé…) est une fiction certes utile pour une compréhension initiale, disons cours d’instruction civique pour école primaire, mais qui ne correspond pas à la réalité. Les lois sont souvent obscures, incohérentes, mal écrites, verbeuses ; ce n’est pas moi qui le dit, mais les plus hautes autorités du droit français. Il en est de même du droit américain. Quand vous demandez à un juriste si telle chose est illicite, vous obtenez une réponse, souvent péremptoire ; mais parfois, vous obtenez une réponse différente d’un autre juriste.

Dans ces circonstances, je ne vois pas ce que Wikipédia pourrait faire, à part rappeler les principales « opinions » exprimées par les politiciens qui voteront la loi et les juristes qui l’ont commentée, et l’existence de la section 246.

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