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Il y a urgence

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Traduction d’un essai d’emijrp publié le 24 octobre 2011.

Emilio (User:emijrp) contribue à Wikipédia depuis août 2005, il y est notamment dresseur de robot, et participe à la catégorisation du savoir. Ce texte est adapté de son essai There is a deadline (« Il y a urgence »), dont le titre fait écho à un précédent essai intitulé There is no deadline Il n’y a pas d’urgence »).

Cet essai ne représente que les opinions de son auteur.

La cathédrale de la Trinité à Saint-Pétersbourg pendant l’incendie de 2006
La cathédrale de la Trinité à Saint-Pétersbourg pendant l'incendie de 2006.
(Oleg Syromiatnikov, CC-BY-SA)

Chaque jour, des pans entiers de la connaissance sont perdus à jamais, dont aucune trace ne subsiste. Lorsqu’une catastrophe naturelle s’abat quelque part ou qu’une guerre éclate, beaucoup de bibliothèques, archives, musées, monuments, bâtiments de valeur, incunables et objets uniques sont détruits.

De nombreux exemples en attestent, antérieurs à l’existence de Wikipédia. La bibliothèque disparue d’Alexandrie, les encyclopédies chinoises perdues, les églises, monastères, couvents et blibliothèques ravagées lors de la guerre civile espagnole1, l’incendie des chambres fortes de la 20th Century Fox qui détruisit tous les négatifs des films tournés avant 19352, les centaines de bibliothèques et d’archives bombardées et brûlées durant la Seconde Guerre mondiale3,4, les plus de 6000 monastères tibétains dévastés au cours de la Révolution culturelle chinoise, dans lesquels se trouvaient des sculptures, tapisseries et manuscrits uniques5, la bibliothèque nationale et universitaire de Bosnie-Herzégovine bombardée et réduite en cendres avec ses milliers de textes irremplaçables6, pour n’en citer que quelques-uns.

Depuis la création de Wikipédia, la destruction du savoir s’est poursuivie au moins autant qu’avant. La Bibliothèque nationale d’Irak ainsi que d’autres lieux dépositaires de la culture ont été pillés et brûlés lors de l’invasion de l’Irak de 20037, le Tsunami de 2004 dans l’océan Indien a endommagé, voire totalement détruit, les bibliothèques et les archives de plusieurs pays, la majeure partie du patrimoine d’Haïti a été touchée ou anéantie par le tremblement de terre de 20108, de la même manière qu’au Chili suite au séisme de 2010. Récemment, le Musée égyptien du Caire a été pillé au cours de la révolution égyptienne de 20119.

Autodafé de livres à Berlin le 10 mai 1933
Autodafé de livres à Berlin le 10 mai 1933.
(Domaine public)

Mais les guerres et les catastrophes naturelles ne sont pas les seules à menacer le savoir, ainsi que l’ont prouvé l’incendie de la Bibliothèque de la duchesse Anna Amalia en 200410 ou l’effondrement de l’immeuble qui hébergeait les archives de la ville de Cologne en 200911.

Ces événements font à chaque fois disparaître d’importants témoignages de la connaissance humaine, et parfois des patrimoines culturels entiers. Aujourd’hui, de nombreuses langues dans le monde sont en danger.

Par ailleurs, des centaines de sites sont fermés chaque jour sur Internet, la durée de vie moyenne d’une page web n’étant que de soixante-dix-sept jours12. Ces sites sont utilisés dans bien des cas en tant que références sur Wikipédia, mais bien que des projets tels qu’Internet Archive ou WebCite et des groupes de bénévoles comme ceux d’Archive Team13 fassent des copies de sauvegarde de certains d’entre eux, beaucoup d’autres sont définitivement perdus.

Crapaud doré (Incilius periglenes).
Crapaud doré (Incilius periglenes), espèce désormais éteinte.
(Charles H. Smith / U.S. Fish and Wildlife Service, domaine public)

Wikipédia et ses projets frères peuvent et doivent contribuer à sauver toutes ces formes du savoir, par la création d’articles encyclopédiques, le téléversement d’images sur Wikimedia Commons, la préservation des langues au sein du Wiktionnaire ou encore la transcription de livres dans Wikisource. Des événements tels que Wiki Loves Monuments peuvent permettre d’immortaliser des monuments à travers le monde avant qu’ils ne soient dégradés ou détruits, mais l’édition 2011 ne couvrait que des pays européens14. Il faut d’urgence un Wiki Loves Monuments mondial.

Il y a urgence. C’est une bataille contre le temps.

Notes

  1. [^] El martirio de los libros: una aproximación a la destrucción bibliográfica durante la Guerra Civil (archivé sur WebCite).
  2. [^] $45,000 Fire Drives Families From Homes in Little Ferry », Bergen Evening Record, 9 juillet 1937, p. 1 ; cité par Richard Koszarski in Fort Lee: The Film Town, Indiana University Press, 2005, p. 339–341.
  3. [^] It Has Been Done Before! Reconstituting War-Ravaged Libraries (archivé sur WebCite).
  4. [^] Aftermath of the Warsaw Uprising, Planned destruction of Warsaw et Polish culture during World War II.
  5. [^] Tibetan monks: A controlled life (archivé sur WebCite).
  6. [^] Erasing the Past: The Destruction of Libraries and Archives in Bosnia-Herzegovina (archivé sur WebCite).
  7. [^] Photographies de la Bibliothèque nationale d’Irak (août 2003).
  8. [^] Haiti Cultural Recovery Project (copie archivée sur Wayback Machine).
  9. [^] Breaking: Images of Egyptian Museum Damage -UPDATE 34- King Tut Objects Damaged? (archivé sur WebCite).
  10. [^] Hilfe für Anna Amalia (archivé sur WebCite).
  11. [^] Archive Collapse Disaster for Historians – Spiegel Online International (archivé sur WebCite).
  12. [^] Internet Archive – Foire aux questions (archivé sur WebCite).
  13. [^] Site Archive Team (archivé sur WebCite).
  14. [^] Wiki Loves Monuments 2011 – Site web européen (archivé sur WebCite).

4 thoughts on “Il y a urgence

  1. Pour illustrer l’urgence, il y a l’église de Gerstheim, Bas-Rhin, incendiée la nuit du 24 novembre et dont on recherche activement des photographies pour assurer la reconstruction.

    On pourra se demander, si, juridiquement, la reconstruction d’une église à partir de photos constitue une oeuvre dérivée et s’il est donc nécessaire que les photographes donnent explicitement leur autorisation.

    Plus drôle encore, si l’église n’était pas dans le domaine public, et en l’absence de liberté de panorama, les photographes auraient du demander à chacun des ayants-droits (donc l’architecte ou ses descendants ou les descendants de ses descendants et les héritiers désignés par testament non-descendants) l’autorisation de publier sa photo avant de pouvoir la donner pour appuyer la reconstruction.

  2. Il y a aussi les hommes. Les bibliothèques risquent l’incendie ou le pillage, mais ce n’est pas dans leur nature de disparaître ; les hommes, eux, sont programmés au niveau cellulaire pour mourir.

    A chaque fois qu’une personne d’intérêt encyclopédique meurt sans illustration libre, c’est au mieux un article qui n’aura pas d’image avant des années, le temps que des portraits tombent dans le domaine public (70 ans après la mort de leur auteur !) ; et au pire, un article illustré avec des images orphelines ou prises au nom d’un pseudo-“fair use”, qui mettent les projets en danger sur le plan légal et affaiblissent l’idée l’encyclopédie libre.

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