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Dans les coulisses de la plus grande encyclopédie du monde : le témoignage de Rémi Mathis

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Wikipédia fête cette année son vingtième anniversaire. À cette occasion, Wikimédia France vous fait découvrir quelques-unes des nombreuses personnalités françaises qui participent à cette aventure collaborative.

A l’occasion de l’anniversaire de l’encyclopédie, Rémi Mathis, ancien président de Wikimédia France de 2011 à 2014, a publié Wikipédia : dans les coulisses de la plus grande encyclopédie du monde, aux éditions First. Il a accepté de répondre aux questions de Rémy Gerbet pour le blog de Wikimédia France.

Comment t’es venu l’idée d’écrire ce livre ? 

« L’envie d’écrire ce livre est apparu avec les rencontres que j’ai pu faire et du fait que, lorsque j’expliquais que j’étais impliqué dans Wikipédia, tout le monde me posait une tonne de question qui sont très souvent les mêmes : 

  • Qui écrit les articles ?
  • Quel sont les liens entre Wikipédia et Google ?
  • Est-ce une activité rémunérée ?

Je me suis vite rendu compte que bien que toutes ces informations soient disponibles et facilement accessible sur Internet personne n’allait vraiment les chercher.

20 ans après, on a toujours la même question sur la fiabilité de Wikipédia. J’ai donc pris la décision d’écrire et de répondre à toutes ces questions grâce à un livre et un éditeur grand public. Le but et de toucher le plus de monde possible.  Avec ma maison d’édition, on a décidé de faire un livre d’environ 200 pages, facile à lire, sans notes de bas de page, et de faire un plan sous forme de questions. »

Pourquoi avoir fait le choix de cette approche et de cette structuration sous forme de question/réponse ?

« J’avais plusieurs documents prêts avec des thématiques précises que je souhaitais aborder. Il n’y a aucune mauvaises questions. Si le grand public se pose cette question, il faut y apporter une réponse. J’avais d’abord commencé par réalisé un plan assez classique avec des parties et sous-parties mais c’est après un échange avec ma maison d’éditions que nous avons décidé qu’il serait peut-être plus simple de faire tout un ensemble de plus petits chapitres, lisibles indépendamment les uns des autres. Le fonds demeure le même mais j’ai évidemment échangé longuement avec mon entourage pour savoir quels étaient les sujets que je devais absolument traités. »

Est ce que tes parents ont pu lire ton livre ? Et est ce qu’ils ont mieux compris Wikipédia grâce à cette lecture ? 

« J’ai de la chance d’avoir des parents très curieux ! De fait, j’ai déjà eu l’occasion d’avoir de très nombreuses discussions avec eux au sujet de Wikipédia. Ils ont évidemment lu mon livre de A à Z. Ils m’ont fait des remarques intéressantes et ils ont appris des choses. En revanche, et ça montre aussi toute la difficulté à encourager les gens à contribuer : ils n’ont jamais sauté le pas. »

Pour le grand public qui s’interroge sur Wikipédia, quel serait le message que tu aimerais faire passer ?

« J’aimerais que les lecteurs et lectrices retiennent d’un point de vue intellectuel que Wikipédia est une aventure de la connaissance tel qu’il en existe très peu. C’est quelque chose qui a révolutionné le rapport à la connaissance… C’est sans doute la plus importante œuvre littéraire de ce début de XXIe siècle !
 
En pratique, j’aimerais qu’ils comprennent que Wikipédia est un lieu où on présente les choses de manière saine.  Nous avons un rapport à la connaissance qui a été façonné par le livre imprimé. Wikipédia montre qu’il y a encore pleins de choses que l’on ne sait pas et au sujets desquelles les « experts » ne sont pas d’accord. La connaissance est quelque chose de complexe qui change, qui se discute.  Sur Wikipédia, ces divergences sont clairement exprimées et cela oblige les gens à se poser des questions : à devenir des acteurs de leur propre apprentissage et de leur curiosité, ce qui est selon moi extrêmement intéressant. 
Le but est que les gens comprennent que tout les bandeaux qu’ils peuvent apercevoir sur Wikipédia ne sont pas un signe de faiblesse mais un acte de transparence sur ce qu’est vraiment l’état des connaissances. C’est ainsi que le monde fonctionne et ainsi que la connaissance se construit. »

Finalement, on a le sentiment que tout le monde a vite compris le modèle Facebook alors qu’aujourd’hui le modèle Wikipédia, après 20 années d’existence, semblent encore très mal connu et compris du grand public. Quel est ton sentiment à ce sujet ?  

« Je ne suis pas si sûr que les gens comprennent réellement le modèle Facebook. On n’est juste pas obligé de comprendre Facebook pour utiliser Facebook. Chez Wikipedia, on veut que les internautes comprennent et même participent, c’est un héritage du côté libriste… mais la plupart des utilisateurs de Wikipédia souhaitent juste que le site fonctionne. D’où une certaine incompréhension entre les wikipédiens, qui expliquent que le modèle même demande la participation (critique) du lecteur, et un certain public (journalistes…) qui aimeraient une réponse simple à « est-ce que c’est fiable », un prêt-à-utiliser qui n’est pas du tout ce que propose Wikipédia. »

Wikipédia demeure un des rares projets collaboratifs et libres à avoir atteint ce degré de notoriété. Comment expliques-tu cela ? 

« Je pense qu’il y a des projets qui ont atteint ce niveau de notoriété mais la très grande variété de sujets couvert par Wikipédia fait que celle-ci est bien plus visible. Si on prends l’exemple du logiciel de musique VLC, celui-ci est très utilisé ; il est développé et maintenu par une communauté, mais le grand public l’ignore. 
Et puis ce n’est pas si facile de faire tourner un site collaboratif et on voit que ça dépend du nombre de personnes qui interviennent. Sur Wikipédia, ce sont les 1000 personnes qui font plus de 100 contributions par mois sur la version francophone qui font que ça tourne. C’est très peu. Si dès le début, la communauté avait décidé de ne pas intégrer certains sujets populaires comme les films ou les bandes dessinées, on se serait peut-être retrouvé avec une communauté de 100 personnes qui essaient de faire une nouvelle encyclopédie Universalis, et cela n’aurait jamais fonctionné.

Ce qui intéresse les internautes chez Wikipédia c’est le résultat. On ne voit pas que ce ne sont que quelques milliers de personnes qui améliorent, maintiennent et développent le projet. »

Que souhaiterais tu pour Wikipédia pour les 10 prochaines années ?

« La survie dans un premier temps. L’avenir de Wikipédia est une question très compliquée et il faut vraiment prendre des précautions avant de faire des prévisions. Wikipédia peut très bien connaître un avenir à la Myspace ou Yahoo et disparaître du visage des Internets que ce soit à cause de nouvelles législations qui compromettraient son modèle ou bien d’un manque de renouvellement de sa communauté, ou encore des questions plus humaines et techniques. Est-ce que les jeunes de 16 ans aujourd’hui font des modifications sur Wikipédia ? Modifien-t-on les articles depuis un smartphone ? Si l’encyclopédie parvient à faire face à ces défis, il n’y aura pas de problèmes majeurs. Les articles continueront à être surveillés, l’actualité à être traitée et de nouveaux articles continueront d’être créés.
 
Je crois cependant que l’avenir est dans Wikidata. Mais contribuer à Wikidata est une pratique très différente de celle de Wikipédia. Il faut être plus spécialisé, plus geek, mais je suis curieux de voir évoluer le projet de sémantisation de Wikidata (Wikipedia abstract) qui doit permettre d’écrire des articles à partir des informations contenus dans Wikidata. L’arrivée de l’intelligence artificielle sera aussi intéressante à étudier. »

Même question mais pour le mouvement Wikimédia ?  

« Pareil, ce n’est pas facile de répondre et voir ce qu’il faudrait faire.  Je trouve cependant qu’il y a peu de renouvellement. Ce qui ce fait maintenant se faisait déjà en 2010.  Plus embêtant encore, la société n’a pas adopté des pratiques d’ouverture et de diffusion comme on pouvait l’espérer. Lorsqu’une action est entreprise au sein d’une bibliothèque, c’est bien souvent parce ce que 2 ou 3 personnes poussent mais cela ne change pas radicalement les pratiques internes.  J’étais passé dans une émission pour parler des musées français qui n’avaient toujours pas amorcés la transition vers la libération de leurs images. C’était en 2012.  Ça va faire donc 10 ans que la situation stagne. Les choses évoluent donc très lentement et on est pas vraiment sur une pente ascendante comme on l’était entre 2007 et 2012. »

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