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Open Content Culturel – conférence à la Gaîté Lyrique

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Les enjeux

La valorisation et la diffusion des collections est une préoccupation ancienne des institutions culturelles (musées, galeries, bibliothèques, etc.). Cependant, répondre à ce besoin nécessite des moyens humains et financiers dont elles ne disposent pas toujours.

C’est de ce constat qu’est née la RMN (Réunion des Musées Nationaux). Elle a acquis le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) par décret, le 14 novembre 1990. L’établissement est doté aujourd’hui de trois nouvelles missions : l’accueil du public, l’organisation d’expositions temporaires et la diffusion culturelle autour des expositions et des collections permanentes de 34 musées nationaux.

De par ces missions, elle se trouve en situation de monopole pour la commercialisation des reproductions des œuvres, et ce, quelque soit le support (beaux livres, posters, cartes postales, etc.).

Cet état de fait convenait à toutes les parties, jusqu’à ce que la révolution numérique vienne rebattre les cartes, et introduire un nouvel acteur dans le « jeu », à savoir le grand public.

En effet, celui-ci, avide d’informations et de partage, est au cœur même de la mutation en marche. Il consulte massivement Internet pour obtenir des contenus culturels et s’inscrit dans des processus collaboratifs et de partage pour améliorer l’accès à l’information.

Symbole, sans valeur juridique, utilisé pour indiquer qu’une œuvre est dans le domaine public

Cet investissement est notamment possible grâce aux dispositions légales permettant un “domaine public” qui comprend des oeuvres qui sont la propriété de tous. Europeana¹ a publié en 2010 la charte du domaine public dont l’un des principes essentiels est le suivant :

Ce qui fait partie du domaine public doit rester dans le domaine public. Le contrôle exclusif des œuvres du domaine public ne peut pas être rétabli en réclamant des droits exclusifs sur les reproductions techniques des œuvres ou en utilisant des mesures techniques ou contractuelles pour limiter l’accès aux reproductions techniques de ces œuvres. Les œuvres qui font partie du domaine public sous leur forme analogique continuent de faire partie du domaine public une fois qu’elles ont été numérisées.”

Ce nouveau contexte rend la RMN désuète et contraint les institutions culturelles à (re)considérer l’outil numérique, notamment du point de vue économique, et tout particulièrement concernant leurs collections relevant de ce domaine public.

Toutefois, une forme d’instinct de survie, ou d’appât du gain (voir des deux), conduit la RMN à maintenir la main mise sur la diffusion des œuvres détenues par les musées, qui ont signé avec elle. Ils ne sont ainsi plus libres de décider de leurs politiques en matière d’Open Data, et ce, même si ce modèle économique n’est clairement plus viable.

Cette absurdité est possible au motif que les principaux établissements publics culturels sont soumis à un régime dérogatoire (loi 78-753 sur les données publiques et son article 11 sur les données culturelles) : ils restent libres d’ouvrir ou non leurs données, une conséquence de la fameuse exception culturelle française. Cette privatisation du domaine public conduit à de nombreuses aberrations.

Quelques exemples :

  • les historiens des estampes font leurs recherches sur des ressources françaises, dans des lieux culturels français, mais ils privilégient des ouvrages étrangers (librement réutilisables) lorsqu’il s’agit d’illustrer leurs publications.
  • Les étudiants (thésards) en histoire de l’art ne peuvent pas publier leurs recherches, seuls ceux qui ont les moyens de payer les droits de reproduction le peuvent.
  • Les professeurs de l’Ecole du Louvre, pour pouvoir illuster leurs cours devraient payer à la RMN des droits qui leur coûteraient dix fois plus cher que ce que leur rapportent leur cours.

Les atouts de l’ouverture des contenus culturels

Pour les établissements culturels déjà, nous pouvons lister plusieurs pistes :

– l’opportunité de développer de nouveaux produits ou services autour des données publiques culturelles,

– la possibilité de créer une médiation entre les institutions et l’émergence d’un nouveau type d’entreprenariat,

– la création de modèles économiques innovants pour les institutions qui vont générer des moyens supplémentaires et qui vont représenter un levier de croissance pour l’industrie culturelle française.

Pour les pouvoirs publics ensuite, des perspectives enthousiasmantes se dessinent :

– l’impulsion de nouvelles dynamiques dans le secteur du tourisme culturel,

– la modernisation et la dynamisation de l’action publique et l’occasion de repenser le service public,

– la transparence économique.

Un exemple, le cas du Rijksmuseum au Pays-Bas

Rijksmuseum Amsterdam

Europeana a travaillé avec ce musée depuis 2011 pour rendre les collections d’oeuvres d’art appartenant au domaine public disponibles, en ligne et sans restrictions. Cela a donné lieu à plus de 150 000 images en haute résolution visualisables, téléchargeables, remixables, copiables et utilisables. Dans le cas du Rijksmuseum, seuls 8 000 objets sur 1 000 000 sont accessibles aux visiteurs. En rendant ces images disponibles sans restrictions, leurs portées se sont étendues de façon exponentielle.

Quels ont été les motifs de cette stratégie employée par le musée ?

– Faire le pari que libérer du contenu de qualité va aiguiser l’intérêt du public, et les inciter à venir sur place, plutôt que mettre en danger les revenus potentiels de l’institution.

– Lutter contre la prolifération des représentations numériques non officielles de célèbres peintures sur le web. (Comme les images proviennent d’une source fiable, les bonnes copies numériques ont été rapidement adoptées par les plates-formes de diffusion de savoir en ligne comme Wikipédia, ce qui fait baisser dans le même temps la popularité de représentations non officielles ou de mauvaise qualité.)

– Atteindre les utilisateurs : à ce jour 6 499 images provenant du Rijksmuseum ont été téléversées sur Wikimedia Commons. 2 175 d’entre elles sont actuellement utilisées dans divers articles de Wikipedia. Ces images ont été vues plus de 10 millions de fois. La visibilité est donc accrue pour les oeuvres de l’institution et pour l’institution elle-même.

– Augmenter leurs sources de revenus : le Rijksmuseum a, comme la plupart des musées, une banque d’images où se vendent des copies numériques des images. Lorsque fin 2011, ils ont commencé à libérer des images, ils ont proposé deux tailles à la vente. L’image de qualité moyenne (au format JPG, de 4500x4500px, à ± 2MB) est disponible gratuitement en téléchargement à partir de leur site web, sans aucune restriction. Lorsque l’utilisateur clique sur le bouton de téléchargement, une fenêtre s’ouvre et demande à l’utilisateur de créditer le Rijksmuseum lors de l’utilisation du fichier. Pour de la très haute résolution, 40€ sont demandés. En 2010, quand aucune photo n’était disponible dans des conditions ouvertes, il y avait effectivement moins de revenus qu’en 2011, lorsque le premier jeu a été mis à la disposition. Il est encore plus intéressant de voir qu’en 2012, il y a une augmentation significative des ventes. Cela montre que libérer des images de qualité moyenne au public en 2011 a permis d’avoir un modèle économique viable, et a, en fait, augmenté les ventes d’images.

Le coût des recherches et de la mise à disposition de demandes individuelles d’oeuvres peu connues coûte parfois plus cher que le revenu qui en découle. Du coup, le Rijksmuseum a persévéré dans sa démarche de rendre disponible en résolution suffisante le plus d’oeuvres possibles, et a ainsi choisi de recentrer le travail de ses agents sur la recherche de fonds auprès de fondations artistiques, de manière à numériser de nouvelles collections.

La renommée acquise pour avoir libéré du contenu sans restrictions semble aussi avoir facilité l’obtention de ces subventions. Le Rijksmuseum a ainsi été invité à participer à de nombreuses conférences pour expliquer sa démarche, ce qui a attiré l’attention des médias et de nouveaux publics.


¹ Europeana est une bibliothèque numérique européenne lancée en novembre 2008 par la Commission européenne. Elle est une mise en commun des ressources (livres, matériel audiovisuel, photographies, documents d’archives, etc.) numériques des bibliothèques nationales des 27 États membres.
Définition soumise à la licence CC-BY-SA. Source : article Europeana de Wikipédia en français (auteurs)

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